Vie pratique
Marlène Collette nous aide à éviter les pièges sur le régime matrimonial pour les expatriés français
Publié
3 ans agoon
La mobilité des Français n’est plus à démontrer et il est fréquent que des couples se marient à l’étranger, ou se marient en France, et s’expatrient au cours de leur union. Ces mouvements ne sont pas sans conséquences juridiques sur le régime matrimonial de ces couples. Savoir à quel régime matrimonial on est soumis est essentiel pour déterminer ses droits et obligations lors d’une transaction immobilière, d’un divorce ou d’un décès par exemple.
Rencontre avec Marlène Collette, Docteure en Droit, avocate au Barreau de Paris et Neuchâtel
Fanny Destenay : Pourriez-vous nous expliquer quelle loi s’applique au régime matrimonial ?
Marlène Collette : A l’international, comme en droit « franco-français », le régime matrimonial des époux dépend de la loi applicable au jour du mariage. En l’absence de tout contrat de mariage, les époux sont soumis au régime légal. Mais lequel ? C’est toute la difficulté en présence de ce que l’on appelle un élément d’extranéité, c’est-à-dire un élément de fait dans la situation juridique des couples qui met en jeu plusieurs droits nationaux (époux de nationalités différentes, ayant résidé à l’étranger etc.).
Ici, il y en fait trois systèmes juridiques qui cohabitent en droit international privé français, et ceci, en fonction de la date de célébration du mariage. Faisons le point :
> Si votre mariage a été célébré avant le 01.09.1992 :
S’applique ici ce que l’on appelle le principe de l’autonomie de la volonté qui se traduit par le choix du premier domicile matrimonial des époux. Concrètement, c’est la loi du lieu où les époux entendent fixer et fixent effectivement leur établissement et leur vie de manière stable.
Exemple : deux Français vivant en Suisse, mariés à Genève et qui vivent de façon stable et durable en Suisse sont soumis au régime matrimonial légal suisse mais deux Français qui se sont mariés à Las Vegas lors d’un voyage touristique sont soumis au régime matrimonial légal français et non pas américain.
> Si votre mariage a été célébré (ou sera célébré) entre le 01.09.1992 et le 29.01.2019 :
La Convention de la Haye du 14 mars 1978, entrée en vigueur le 1er septembre 1992 en France prévoit que si les époux n’ont pas, avant leur mariage, désigné la loi applicable à leur régime matrimonial, celui-ci est alors soumis à la loi de l’Etat sur le territoire duquel ils établissent leur première résidence habituelle commune après le mariage. Contrairement au cas précédent, aucune condition de durée n’est exigée pour déterminer cette résidence habituelle (on considérera par exemple qu’une résidence de 6 mois sur le territoire français suffit à caractériser l’existence d’une résidence habituelle).
En l’absence de résidence commune, c’est la loi nationale commune qui s’appliquera. A défaut, c’est la loi de l’Etat avec lequel les époux ont les liens les plus étroits qui définira le régime matrimonial.
Par exception aux principes ci-dessus, si les époux fixent leur résidence dans un Etat qui commande d’appliquer la loi nationale commune (notamment Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne), alors c’est cette loi qui prévaudra. Dans d’autres pays, la loi applicable reste au libre-choix des époux. Ainsi, des époux domiciliés en Suisse peuvent choisir leur régime matrimonial entre le droit suisse ou le droit d’un Etat dont l’un d’eux a la nationalité (par exemple, un couple franco-suisse peut choisir le droit suisse ou le droit français, un couple franco-italien vivant en Suisse peut choisir entre le droit suisse, français ou italien). Ce choix doit faire l’objet d’une convention écrite. A noter que ce choix peut être modifié en tout temps. Dans ce cas, il est possible de prévoir que le changement de régime matrimonial rétroagit au jour du mariage.
> Mariages célébrés à compter du 29.01.2019 :
Le règlement européen UE n°2016/1103 du 24 juin 2016, applicable à partir du 29 janvier 2019, distingue deux hypothèses :
- En présence d’un choix préalable par les époux de la loi applicable :
Les époux ont la possibilité de choisir expressément la loi applicable à leur régime matrimonial avant leur union. C’est alors une loi unique qui s’appliquera pour l’ensemble des biens dans n’importe quel pays où ils se trouvent. Dans ce cas, les époux ont seulement deux options. Ils peuvent choisir :
- La loi de l’Etat de résidence habituelle de l’un d’eux au moment de la conclusion de l’acte de désignation
ou
- La loi nationale de l’un des futurs époux au moment de la désignation.
La conséquence principale est qu’il ne sera désormais plus possible de désigner la loi de l’Etat sur le territoire duquel l’un des époux établit sa résidence habituelle après le mariage, ni la loi du lieu de situation pour les immeubles ou certains d’entre eux. Le choix de loi applicable doit être formulé expressément dans un écrit, daté et signé par les deux époux, et selon les formes prescrites par la loi de l’Etat participant de la résidence habituelle des époux.
- La loi applicable à défaut de choix formulé par les époux :
Dans ce cas, le régime matrimonial des époux est alors soumis :
- En premier lieu, à la loi de l’Etat de la première résidence habituelle commune des époux après le mariage ;
- A défaut de résidence commune, à la loi de leur nationalité commune au jour du mariage ;
- A défaut, à la loi de l’Etat avec lequel les époux ont les liens les plus étroits.
F.D. Et comment peut-on changer de régime matrimonial au cours de mariage ?
M.C. : Comme nous venons de le voir, il est parfois complexe de déterminer son régime matrimonial. De ce fait, il n’est pas rare que des époux découvrent, après coup, que leur régime matrimonial n’est pas celui auquel ils pensaient être soumis.
Si les époux souhaitent changer de régime au cours de leur union, il faut alors distinguer deux cas de figure :
> Le changement VOLONTAIRE de régime :
Quelle que soit la date de célébration du mariage, les époux ont toujours la possibilité au cours de leur union de désigner la loi qu’ils souhaitent voir s’appliquer à leur union (article 22 du Règlement UE n°2016/1103), pour autant qu’il existe un élément d’extranéité pertinent (nationalités ou résidences différentes par exemple). Attention, par principe, ce changement de loi applicable n’a pas d’effet rétroactif, mais on conseillera aux époux de le prévoir afin d’éviter que plusieurs régimes matrimoniaux différents ne se succèdent au cours d’un même mariage.
> Le changement INVOLONTAIRE de régime (appelé aussi dans le jargon juridique la mutabilité automatique) :
C’est l’un des principaux « pièges » en cas de mobilité des couples, car le changement de régime peut s’opérer sans que les époux n’en aient connaissance. Il ne concerne que les époux mariés entre le 1er septembre 1992 et le 29 janvier 2019, et n’a pas d’effet rétroactif, même si les époux s’y opposent.
Trois cas de changement involontaire existent et il faut être très prudent quant à l’appréciation des situations de fait de chaque couple !
- La loi interne de l’Etat où les époux ont leur résidence habituelle se substitue à la loi précédemment applicable lorsqu’après le mariage, cette résidence dure depuis plus de 10 ans.
Exemple : deux Italiens se sont mariés en 1993 et ont vécu en Suisse après leur mariage. Ils étaient mariés sous le régime légal suisse. Ils se sont installés en France en 2004 par la suite où ils vivent toujours. Ils sont depuis 2014 soumis au régime légal français.
- La loi interne de l’Etat où les époux ont leur résidence habituelle se substitue à la loi précédemment applicable dès lors que les époux ont la nationalité de cet Etat ou qu’ils acquièrent cette nationalité.
Exemple : deux Français se sont installés à Lausanne après leur mariage en 1995. Ils étaient donc mariés sous le régime suisse. Ils reviennent vivre en France et sont soumis dès cette date au régime français.
- La loi de la résidence habituelle se substitue à la loi nationale commune si auparavant les époux étaient soumis à cette loi à défaut de résidence commune dans le même Etat au moment du mariage.
Exemple : deux Français mariés en France en 1994. Le mari travaillait déjà en Allemagne où il est revenu vivre après son mariage, alors que l’épouse est restée en France. Ces époux de même nationalité, à défaut de résidence commune, étaient soumis à la loi française mais lorsque l’épouse est venue rejoindre son mari en Allemagne, les époux se sont trouvés automatiquement soumis au régime légal allemand.
Le seul moyen pour éviter ces changements de régime qu’on ne maîtrise pas : désigner la loi applicable dans un acte notarié spécialement dédié à cet effet.
F.D. En bref, comment peut-on se marier quand on est expatrié ?
M.C. : Les expatriés peuvent célébrer leur mariage auprès de l’ambassade, de l’officier de l’état civil local ou en France. S’ils optent pour le pays local, le mariage devra faire l’objet d’une transcription sur les registres de l’état civil du consulat de France. Il est recommandé d’établir un contrat de mariage pour fixer la loi applicable et le régime matrimonial choisi.
Merci à Marlène Collette pour ses conseils et son expertise sur le régime matrimonial pour les Français en Suisse.
Marlène Collette, Docteure en droit, avocate, chargée de cours en droit, secrétaire au comité de la Société française de Neuchâtel, Neuchâtel.
29 ans, Commerciale dans le domaine de l'hôtellerie et Entrepreneuse, Genève. Après avoir été Key Account Manager pour le groupe Accor, elle a créé Learn and Watch, un site pour apprendre l’anglais avec les séries. Elle s’engage en politique avec deux objectifs : soutenir le secteur du tourisme, de l’hôtellerie et de la restauration ainsi que promouvoir l’inclusion sociale, en particulier pour les personnes victimes d’homophobie.